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#32

Hypocrisie Carbone

17/05

Bonjour Amandine

Bonjour Jean-Christophe

JC : Ma chère Amandine on va aborder un thème un peu particulier aujourd'hui dont l'origine est une correspondance, un échange que j'ai eu récemment avec un assureur dont tu vas sans doute deviner le nom, mais que je tairai ici…par charité

Cette correspondance donc qu'on va qualifier d'un peu énervée comme elle l'est souvent avec moi c’est le quotidien en réalité de quasiment l'ensemble des cabinets de conseil en gestion de patrimoine de courtiers d'assureurs petits ou grands qui vendent des contrats d'assurance-vie.

Je veux parler une fois encore des conséquences de la sur_réglementation, des process à géométrie variable d’une industrie plus ou moins terrorisée et qui va jusqu’ à inventer ses propres règles pour certains, bref tous les effets délétères que l'on peut imaginer chez les assureurs, les intermédiaires et la pollution qu'elle entraîne qu'elle soit dans les esprits, et pendant qu'on y est dans les bilans carbone si on doit parler d'écologie sujet d'actualité s'il en est …

Bref l'anecdote la voici :

Un client change d'adresse et souhaite modifier son contrat d'assurance.  L’assureur nous demande 11 pages à préremplir et à renvoyer signer pour ce changement…. 11 pages……

Mais attention hein c'est en PDF dynamique avait hurlé mon inspecteur des trémolos dans la voix quand il était venu au bureau pour m'expliquer comment se passait la gestion chez eux !! Ces responsables lui avaient sans doute vendu que l'on basculait définitivement dans le 21e siècle sous prétexte qu'on pouvait maintenant préremplir un document par l'intermédiaire de son PC. Je rajoute qu’on connaît ça depuis 10 ans mais la compagnie d'assurance en question vient de le découvrir. Et ne croyez pas que c'est une petite compagnie, elle gère 12 milliards.

Pour bien visualiser le cheminement d’un tel acte, il faut imaginer qu’une fois complété il faut envoyer ce document par mail au client, qui lui-même l’imprime, le signe, l’envoi par courrier au courtier  et oui  l'assureur nous demande la signature originale et pour finir une fois réceptionné par le cabinet le document est de nouveau scanné et envoyé chez l’assureur.

Alors nous nous sommes amusés à « chatgpteisé » maintenant on ne google-ise plus on chat GPetise la requête suivante :

Quel est le coût carbone d'une rédaction et d'un envoi de 11 pages selon ce parcours comparativement à un simple email signifiant un changement d'adresse ?

Tu me donnes le résultat d’Amandine ?

Amandine : Euh oui c’est édifiant !

D'après les hypothèses précédentes, un acte de gestion d'assurance vie nécessitant la production de 11 pages de documents pourrait générer environ 27,5 kg de CO2.

Alors selon une étude menée par la société Carbon Trust en 2011, un envoi de mail avec une pièce jointe de 1 Mo peut générer environ 19 g de CO2, ce qui est équivalent à une ampoule de 60 W allumée pendant 25 minutes.

Extrapolons !  Histoire de rire…..un peu jaune quand même

Prenons comme exemple un assureur moyen gérant 12 milliards d'euros ayant 220 000 contrats en stock pour un encours moyen de 53 000€ par contrat, un âge moyen de 53,3 ans et d'une durée moyenne de 8,3 ans. Ces moyennes viennent de la fédération française de l'assurance ce qui veut dire que ce ne sont pas tout à fait des chiffres pris par hasard.

Calculons le cout carbone d’un tel un acte de gestion par an en moyenne sur l'ensemble de la production. Cela inclut les changements d'adresse les arbitrages les rachats les décès bref un acte par an c'est une moyenne très basse.

Le résultat est effrayant, consternant, démentiel aucune mention inutile à rayer dans cette phrase …

En supposant que l’assureur produise environ 20,7 millions d'actes de gestion par an sur une base de 227000 contrats, chaque acte générant une émission de 27,5 kg de CO2, le coût environnemental total pour la gestion des actes de l’assureur serait d'environ :

  • 20,7 millions x 27,5 kg de CO2 par acte de gestion = 569 250 tonnes de CO2 par an !
  • Pour la méthode par mail : 226 415 contrats x 5,5 g de CO2 par contrat = environ 1,24 tonne de CO2 par an.

Alors, quand dans le même temps je lis que l'assureur en question s'engage pour assurer la préservation de la planète et qu’elle œuvre au quotidien pour limiter son impact environnemental je dis qu'il serait bien avisé de modifier ces process au plus vite, car pour l'instant cela procède à de la déclaration d'intention qui ne coûte pas cher et qui s'apparente plus à du greenwashing qu’a une démarche quelconque pour une planète moins carbonée bien au contraire.

JC : Alors bien entendu j'imagine déjà des retours oui, mais ça y est on digitalise nos process, mais c'est très long nous sommes de grosses structures et la réglementation nous impose de plus en plus de contraintes qui nous oblige etc etc …

Le seul point sur lequel nous sommes fondamentalement d'accord c'est bien la réglementation ! Cette dernière repose sur l'idée que l'épargnant est insuffisamment informé et qu'il faut le protéger parfois de lui-même.

 L'intention est louable, le problème c'est qu'elle échappe maintenant complètement à celles et ceux qui l'ont promu.

J'ai commencé ce métier en 1983

A l'époque la souscription d'un contrat d'assurance-vie produisait environ 10 documents. Oui vous avez bien lu 10 documents en tout et pour tout carte d'identité du client comprise quand elle était demandée d'ailleurs au moment de la souscription...  A l'époque la protection de l'épargnant était quasi nulle, mais au moins il pouvait encore prendre le temps de lire 10 pages.

En 2023 il faut entre 60 et 100 feuilles pour la souscription d'un seul contrat d'assurance vie. L'épargnant est sur-informé en apparence je dis bien en apparence, car aucun d'entre eux ne lit 100 pages. Je mets d'ailleurs au défi de me trouver une personne qui lie d'un bout à l'autre les conditions générales de Google sur son smartphone à chaque mise à jour.

Or quand on ne lit pas ce que l’on signe, et bien s’il y a un problème qui se traite devant les tribunaux ce n'est pas l'épargnant qui est protégé, mais l'intermédiaire et l'établissement financier, car tout est écrit !  Encore faut-il le comprendre et le lire

Tu vas me dire que je m'éloigne Amandine, mais en réalité il y a quelques nouveautés cette année dont entre autres l'obligation de promouvoir on va faire simple les fonds ESG et ISR c'est-à-dire ceux justement qui privilégient les entreprises vertueuses. D'où 2 pages de plus à rajouter aux 100 pages déjà existantes.

On atteint là quasiment le paroxysme de la schizophrénie, je contrains des acteurs à promouvoir des entreprises vertueuses en produisant encore plus de coup carbone à travers une réglementation qui s'empile année après année. De plus elle produit en même temps des tas d'emplois dont le seul objet est de produire, de fabriquer de la documentation de la régulation de la contrainte de la complexité et donc évidemment au fur et à mesure des années qui passent ont un intérêt objectif à rendre encore plus complexe et à fabriquer encore plus de documentation.

Amandine je ne sais pas si c'est ta génération, mais connais-tu les shadoks ?

Les Shadocks sont des personnages fictifs créés par le dessinateur français Jacques Rouxel. Leur raison de vivre est de pomper sans cesse de l'eau d'un puits pour la remplir dans un tonneau, dans le but de le vider ensuite dans un autre puits situé en hauteur. Leur tâche est donc apparemment sans fin et absurde, reflétant l'idée que certaines actions humaines peuvent sembler vaines et inutiles.

En conclusion : C’est aussi la célèbre expression déshabiller Pierre pour rhabiller Paul.  C’est effectivement notre ressenti parfois dans notre métier. Notre société a du mal à considérer le principe de responsabilité dans les actions de M. et Mme tout le monde, on tourne donc souvent autour du pot, faire et défaire c’est toujours travailler, on invente de nouvelles règles, de nouveaux métiers et on se retrouve pour finir toujours devant un écran de fumée. Ce manque de responsabilité que l’on veut attribuer à la population ne colle pas seulement à l’industrie financière mais devient un vrai problème de société. On cherche à faire ressortir la bêtise, l’irresponsabilité des uns pour faire couper des cheveux en quatre à d’autres censés expliquer aux premiers pourquoi et comment ça marche. Bref, Beaucoup d’hypocrisie, et on n’établit pas la confiance comme ça. Alors JC, A qui profite donc le crime ?

JC : Et bien, voilà une réflexion sur laquelle nous allons pouvoir plancher.

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